J3 à Concordia

Après cette première et deuxième journée, je m'attendais à redescendre un peu de mon nuage. Et bien non, je suis allé encore plus haut pour me rapprocher de la lune. En descendant vers le point le plus austral de ma mission, j'ai vraiment touché notre bon vieux satellite. Les paysages lunaires et désertiques traversées pendant 3 heures sans le moindre obstacle à l'horizon qui puisse accrocher l'oeil ont été envoûtants.

 

Devant moi, le grand sud !

Ma journée a pourtant commencé le plus normalement possible par un réveil à 7 h après une nuit reposante. Le mal des montagnes se dissipe dans les brumes de Dome C. Mes constantes matinales étaient bonnes (87% de saturation en O2 et 75 de pulsation cardiaque). Le petit déjeuner est servi à partir de 7h sur la station. A 8h le station leader procède à un briefing collectif dans la salle de restaurant : il revient sur les faits marquants de la veille (notre exercice d'évacuation du 2ème étage en sautant de 6 m de haut dans une chaussette géante et l'exercice incendie au cours duquel j'ai eu l'immense plaisir de figurer sur la liste de l'unique victime de l'incendie)

Puis à 10h nous nous sommes retrouvés à quatre pour grimper dans l'Arctic Truck, pilotée par Ricardo, le station leader, et filer vers Little Dome C. 

A travers les vitres du véhicule, je découvre un paysage désertique ahurissant et envoûtant. De simples griffures du vent tatouent la surface du plateau polaire qui culmine à 3230 m d'altitude. Cela dépasse l'entendement d'imaginer que nos énormes pneus roulent sur une couche de glace de 3000 m d'épaisseur. A partir d'un moment mon cerveau bloque, surtout en hypoxie !

Nous découvrons le camp de little Dome C où un groupe de scientifiques chercheurs, techniciens, infirmière, cuistot vivent dans des conditions réduites à leur plus simple expression (une caravane) pour recueillir des carottes glaciaires.

Cette communauté internationale cohabite pendant deux mois dans cet environnement extrême et nous a ouvert ses portes pour que nous découvrions une partie de leurs chantiers : carottage puis stockage dans un tunnel "glacé" où ils procèdent aux échantillonnage de glace par carotte de 1 m. Ils découpent ensuite chaque carotte en deux dans le sens longitudinal. Un exemplaire reste sur place dans cette glacothèque immense et l'autre regagne les labos du monde entier pour être examiné sous toutes ses bulles d'air .

Le repas de midi est partagé autour de 3 tables dans une ambiance indescriptible de fraternité et de joie à 40 kms du lieu habité le plus proche. Vivre ces moments là de banquet simple et fraternel procure une joie absolue et une confiance immense dans la puissance scientifique pour rassembler les énergies et les hommes autour de projets qui dépassent les querelles habituelles et les conflits internationaux.

Nous quittons nos hôtes et les laissons à leurs travaux après une séance photo très australe !

Je regagne la station à bord d'un engin où je contemple à nouveau avec un regard d'enfant les paysages lunaires qui changent selon les angles de la piste par rapport au soleil. Nous partageons pendant 2 h à 5 dans une cabine, ce puissant sortilège lunaire. 

Au même moment apparaissent dans notre Nord-Ouest, la station Concordia, et dans notre Nord-Est les caravanes du raid.

Quelle claque de les savoir si près du but qui les aimantent depuis 12 jours !

Leurs tracteurs et leurs remorques grossissent au fur et à mesure que nous approchons des deux tours de Concordia.

A notre arrivée à la station, c’est l’effervescence générale. Tous les personnels sont en train de s’activer pour aller à la rencontre des raiders. Tout le monde grimpe sur les moto neige et part à la rencontre des héros du jour qui acheminent à bon port le carburant et les vivres tant attendus et les matériels des prochains chantiers des équipes techniques et des scientifiques.

A leur hauteur, nous nous arrêtons pour les applaudir, les saluer, les remercier, leur rendre hommage d’avoir bravé le désert et le silence polaire pour faire avancer leurs machines sur le plateau polaire.

Dans un joyeux désordre organisé et sécurisé, le convoi se disloque et les embrassades franco-italiennes reprennent. Je retrouve avec grand plaisir mon "camarade" Anthony, chef de ce raid.

Les collègues des équipes logistiques préparent dans la foulée leurs postes de travail pour démarrer demain à la première heure le déchargement des traineaux. Un effort titanesque de 3 jours qui libèrera les raiders qui reprendront leur route vers le nord pour regagner Cap Prudhomme en face de Dumont d’Urville d’où un nouveau raid s’ébranlera en janvier pour une deuxième épopée antarctique.

Les émotions ont de nouveau très fortes ! Concordia est une bulle précieuse posée sur un plateau lunaire.

On y est hors du temps et de l’espace.

La magie des rencontres et le sens des actions des uns envers les autres atteint un paroxysme inexplicable mais qui se grave dans les corps et les esprits de tout ceux et toutes celles qui connaissent l’immense privilège de pouvoir y séjourner quelques heures.

Je suis heureux d’en être.

 

 

Commentaires

  1. Frissons... d'émotion en te lisant... et peut-être aussi un peu de froid que nous fait partager. Bon courage pour t'acclimater à cet environnement de l'extrême.

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  2. Quel récit !
    Atmosphère digne de Mad Max, la fraternité en plus !
    Jo

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  3. C'est quoi cet exercice d'évacuation et de chaussette géante !? :)
    Florence T

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    1. Salut Florence, on se met sur un promontoire au R+2 et sous nos pieds il y a une tube ou une chaussette en textile et on se laisse tomber dedans pour se retrouver 3 secondes plus tard sur la neige en bas.

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  4. Une expérience vraiment hors du commun, sur tant de plans ! Merci de nous en faire profiter Yannick !

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  5. A te lire, j'en ai les larmes aux yeux... c'est fantastique ton aventure.. merci infiniment pour le partage🙏

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